« Avant toute chose, la requalification des friches passe par le dialogue et la réflexion partagée »

Face à l’enjeu de lutte contre l’artificialisation des sols et à l’objectif de zéro artificialisation nette, la requalification des friches constitue une réelle opportunité pour les collectivités. Pour faciliter les démarches, le ministère chargé de la Transition écologique a lancé en octobre une consultation sur l’instauration d’un certificat de projet dédié aux friches.

Les agences d’urbanisme interviennent en amont de la réhabilitation des friches. Nicolas Delbouille, directeur d’études à l’Agence de développement et d’urbanisme du Grand Amiénois (ADUGA), travaille depuis quelques années sur ce sujet. Il nous fait part aujourd’hui de son expérience et de sa vision.

 

Propos recueillis par Marie Leynaud

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Comment se déroule la réhabilitation des friches et comment y contribuez-vous ?

La première chose à faire est d’identifier et de caractériser les friches. Pour cela, dans le Grand Amiénois, l’ADUGA a réalisé il y a 10 ans un inventaire grâce à un questionnaire envoyé à toutes les communes et à des visites de terrain (NDLR : la deuxième mise à jour de l’inventaire des friches du Grand Amiénois est en cours). Après analyse et classification, nous avons recensé 83 friches et nous avons élaboré un guide de reconversion destiné aux élus. Sur cette base, une sensibilisation a été menée auprès de l’ensemble des élus du territoire. En effet, ruraux et urbains, communaux et intercommunaux, ils sont tous concernés par la thématique du foncier, qu’il s’agisse de friches ou de zones d’activités. Un atlas interactif ouvert a également été mis en ligne en 2016, le premier à l’époque, permettant à tout public d’être informé de l’existence de ce foncier mutable.

Cette étape liminaire a amené les élus à considérer les friches comme des opportunités, à prendre conscience de l’enjeu de la reconversion et à réfléchir à une action réaliste. Une dynamique de dialogue a ensuite pu être mise en place, en s’appuyant sur des ateliers mixtes associant élus et techniciens des différents services et sur des groupes de travail entre élus. Ces échanges ont permis d’identifier treize friches pilotes à traiter en priorité.

L’ADUGA accompagne les collectivités pour la reconversion de ces sites en réalisant des premières esquisses de programmation, en négociant les indispensables diagnostics de sols, puis en élaborant des maquettes urbaines virtuelles qui permettent de visualiser l’intégration du site dans le tissu environnant. Grâce à la dynamique de dialogue engagée, des orientations d’aménagement et de programmation (OAP) sont élaborées à l’échelle des sites et de leur environnement, comme : la conservation d’un bâtiment, un nombre de logements à atteindre, des périmètres de préservation de la nature ou d’inconstructibilité, etc.

Comment la loi Climat et résilience et le certificat de projet vont-ils impacter la réhabilitation des friches ?

Le certificat de projet constitue un outil mobilisable au moment des demandes d’autorisation d’aménager ou de construire, c’est-à-dire lorsque le projet est déjà conçu. Certains trouvent que le degré de précision attendu pour le projet ne va pas assez loin. Néanmoins, l’idée du guichet unique est intéressante car elle favorise une transversalité minimale. De plus, le certificat de projet représente une « garantie » face aux éventuelles évolutions de la règlementation. Le travail sur les friches prend des années et cette validité dans le temps est une bonne chose.

Si le certificat de projet va donc dans le sens de la permanence et de la transversalité, cela ne doit pas faire oublier que l’outil essentiel pour une reconversion de friche reste le dialogue : entre élus et techniciens, entre services, entre privé et public, etc. C’est un véritable espace d’échanges continus dès l’initiation de la démarche de projet qui permettra de gagner réellement du temps !

À ce titre, l’initiative UrbanVitaliz du CEREMA mérite que l’on s’y intéresse : elle offre une base de données de l’ensemble des ressources disponibles sur la reconversion de friches tout en permettant de poser des questions et d’échanger, une sorte de mix entre guichet unique automatisé et dialogue humain.

Par ailleurs, avec l’objectif de la zéro artificialisation nette (ZAN), on sent que la pression sur le foncier se renforce en zone métropolitaine. Certains aménageurs sont prêts à investir pour acquérir des friches dans la perspective de la raréfaction du foncier constructible. Face à cette forme de spéculation, seul le droit de préemption permet aux collectivités d’agir. Mais celui-ci doit s’appuyer sur un projet préalablement défini ! C’est donc bien la réflexion en amont qui constitue la première étape, celle qui permettra d’enclencher la reconversion des friches.

Les outils dont on dispose aujourd’hui pour la reconversion des friches sont-ils suffisants ?

Il serait utile de régler les questions de propriété et d’accès aux sites. En effet, la difficulté d’entrer en contact avec des propriétaires de sites anciens reste encore régulièrement source de blocage, tout comme certaines situations de liquidation judiciaire particulièrement complexes. Il s’agit là de problèmes juridiques sur lesquels le législateur pourrait se pencher afin de simplifier singulièrement les démarches.

Les OAP constituent un outil intéressant. Mais elles s’appuient sur une notion de compatibilité et non de conformité. La marge de manœuvre peut donc être floue et la notion de compatibilité mériterait d’être éclairée pour faciliter l’analyse des instructeurs du droit des sols encore peu familiarisés avec ces outils.

Avec l’EPF Hauts-de-France, nous disposons enfin dans le département de la Somme d’un outil d’aménagement susceptible de « déclencher » la reconversion effective de friches en proposant un appui pour la réalisation concrète des projets : acquisition, études, travaux et rétrocession. Mais l’EPF n’interviendra fort logiquement que si la collectivité propose un projet de reconversion suffisamment mature.

Pour conclure, un des outils majeurs de la reconversion des friches est le temps ! Cette valeur devenue rare dans notre société… Il est à la fois celui que les divers appels à projets laissent si peu et celui, ô combien précieux, du dialogue, de la maturation et de la stratégie partagée. Les « élus-aménageurs » qui portent des ambitions de reconversion devraient pouvoir compter sur une permanence des moyens d’accompagnement, qu’ils relèvent de financements ou d’ingénierie.